Parler vrai

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Nous, les humains, avons développé un langage très élaboré qui nous sert à la fois pour communiquer et appréhender le monde (y compris nous-mêmes). Le langage est constitué de mots et de règles qui forment une sorte de pot commun dans lequel chacun puise pour parler et réfléchir. Notre rapport au langage change selon les situations.


Parfois nous parlons simplement pour faire lien social, sans trop nous préoccuper du contenu de ce qui est dit (Moulin à parole). Parfois nous exprimons véritablement ce que nous pensons et ressentons et souhaitons un partage authentique et réciproque avec notre interlocuteur (Rapport Symbolique au Langage - RSL). Et parfois nous parlons dans le cadre d'une relation pervertie par l'Ego (Langage sous l'Emprise de l'Ego - LEE). Chacun peut être particulièrement familiarisé avec l'un de ces rapports au langage en fonction de l'éducation qu'il a reçue.

Le moulin à parole : la personne parle aisément de tout et de rien, changeant de sujet facilement et veillant à ce que le silence ne s'installe pas. Elle parle plus volontiers des autres que d'elle, interpelle son interlocuteur pour qu'il s'exprime tout en évitant qu'un sujet devienne trop sérieux ou trop engageant. Le langage fait lien social sur un mode qui peut être perçu comme léger ou superficiel.

Lorsque deux personnes sont dans le moulin à parole, celui-ci peut tourner pendant longtemps et peu importe le contenu. Il peut même se dire une chose et son contraire sans qu'il y ait de gêne, les personnes ne se sentant pas engagées dans ce qu'elles disent. Le but est de continuer à échanger tranquillement.

Le Rapport Symbolique au Langage (RSL) : La personne utilise les mots pour penser et pour ordonner ce qui se passe en elle, autour d'elle et pour en dire quelque chose à l'autre sans chercher à le dominer, ni le heurter. Le sens est un point d'appui et la parole engage.


Le RSL est intrinsèquement lié à une posture relationnelle dite d'apparentement. La personne est dans une disposition à s'accorder avec son interlocuteur d'égal à égal, avec empathie et bienveillance quelles que soient les différences d'âge, de sexe, de niveau d'études, etc. En cas d'incompréhension elle cherche à clarifier ce qui est dit, en cas de désaccord elle cherche un terrain d'entente. Le sens est un point d'appui et sa parole l'engage. Lorsque son interlocuteur est lui aussi dans le RSL les conditions sont réunies pour que la confiance s'installe, la relation est alors détendue.

Le langage sous l'Emprise de l'Ego (LEE) : la personne utilise le langage dans le cadre d’une relation hiérarchisée. Elle se sent (souvent inconsciemment) supérieure ou inférieure à son interlocuteur. Lorsqu'elle se sent supérieure, le LEE lui sert à prendre l'ascendant sur son interlocuteur en l'intimidant ou en le manipulant. Si elle se sent inférieure elle l'acte en se taisant, en acquiesçant par principe, éventuellement en s'auto-dévalorisant. Le LEE est lié à une posture relationnelle dite de rivalité parce que la personne se met en concurrence avec son interlocuteur pour occuper la place de supériorité (sauf si elle a été conditionnée à occuper l'autre place).   

Le sentiment de supériorité ou d'infériorité provient du fait que la personne entre en relation via son Ego et se compare (souvent inconsciemment). Même si son interlocuteur s'apparente avec elle elle le place soit en position d'infériorité (le plus souvent), soit en position de supériorité, si elle l'admire. Le LEE vise le plus souvent à s'assurer la position de supériorité dans l'immédiateté de la relation, c'est pourquoi la personne peut dire une chose et son contraire. Ce qu'elle a dit avant ne compte pas, et si son interlocuteur le lui rappelle elle nie ou l'accuse de n'avoir pas bien compris.

Lorsque deux interlocuteurs sont dans le LEE, la concurrence est rude pour occuper la position de supériorité, voire de domination. Évidemment on ne peut pas « gagner » à tous les coups. Le perdant doit s'accommoder de l'autre place. Il attend le plus souvent que la roue tourne ou guette une occasion de (re)prendre l'ascendant.

A quoi sert l'éloquence ? 

Nous entendons souvent parler du langage et sa maîtrise est valorisée en tant que telle. Des concours d'éloquence sont organisés, qui pourraient nous faire oublier que cette dernière n'est qu'un outil. À ce titre il convient d'interroger sa finalité. Au service de quoi est-elle mise ?

L'éloquence dans le LEE : la personne use de toute une panoplie d'artifices langagiers pour se faire apprécier, admirer et pour convaincre son interlocuteur. Plus elle maîtrise la langue plus elle peut manipuler ses sentiments et son raisonnement, mettant en perspective des faits et des déductions logiques avec brio pour arriver à ses fins.

Nous vivons dans un monde où il faut se battre pour faire sa place et/ou pour la garder. Un monde qui hiérarchise les personnes sous toutes sortes de prétextes. Un monde dans lequel la posture de rivalité et le LEE règnent, à tel point que la parole est souvent disqualifiée. Nous n'en sommes pas dupes lorsque nous disons d'un discours qu'il n'est « que de la communication ».

L'éloquence dans le moulin à parole : la personne agrémente des relations superficielles par de belles figures de style, éventuellement assorties de références de culture générale.

L'éloquence dans le RSL : la personne exprime au plus juste ses pensés et ses ressentis, c'est un atout pour se faire bien comprendre. Elle peut aussi mettre sa maîtrise du langage au service de son interlocuteur si besoin, pour l'aider à cerner au plus près ce qu'il veut dire.

Avec un interlocuteur étant de manière stable dans l'apparentement et le RSL nous pouvons avoir confiance en ce qui est dit. S'il change d'avis il ne nie pas pour autant ce qu'il a dit précédemment. Il est capable d'expliquer la ou les raisons de ce changement. Le sens est un point d'appui et sa parole est authentique, les conditions sont donc réunies non seulement pour que la confiance s'installe mais aussi pour faire face à des désaccords posément.

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