Penser nos relations

Pourquoi nous sentons-nous sereins et confiants face à certaines personnes et pas face à d'autres ?

Dans toute relation il y a une part qui vient de l'autre et une part qui nous incombe. Du coté de notre interlocuteur, il s'agit de la posture relationnelle qu'il prend vis à vis de nous. Il y a deux postures relationnelles, situées sur un continuum, ce qui signifie qu'une personne peut passer de l'une à l'autre et qu'il y a des degrés.

Lorsque notre interlocuteur est dans la posture d'apparentement, il est dans la disposition à s'accorder avec nous d'égal à égal, avec empathie et bienveillance au-delà de nos différences, d'âge, de sexe, de niveau d'études, d'origine, etc. C'est très confortable.

Lorsque notre interlocuteur est dans la posture de rivalité c'est plus compliqué parce qu'il vit la relation comme un rapport de comparaison et de hiérarchisation des personnes. Le fait qu'il y ait à ses yeux un dominant un dominé, ou un supérieur un inférieur, crée de la tension dans la relation. Inconsciemment, parfois consciemment et de manière assumée, il essaye de s'assurer la place supérieure. Le langage est alors utilisé dans cet objectif. Il peut nous intimider en haussant le ton, en parlant de manière péremptoire, en utilisant des mots trop compliqués ou des arguments cinglants, en monopolisant la parole, nous la coupant ou ignorant ce que nous disons. De façon plus subtile il peut jouer sur nos sentiments, en nous flattant, nous menaçant plus ou moins ouvertement, en sollicitant notre empathie, etc. Il peut aussi nous donner des informations fausses ou partielles. S'il nous demande de prendre une décision nous n'avons pas toutes les clés pour réfléchir avant de nous engager. En d'autre termes il nous manipule. Le plus déstabilisant c'est qu'il peut aussi nous dire une chose et son contraire. Il est dans  l'immédiateté de la relation, ce qu'il a dit avant ne compte pas et si nous le lui rappelons, il nie l'avoir dit ou nous accuse d'avoir mal compris.
La posture de rivalité ayant 2 pôles, dominant/supérieur et dominé/inférieur, il peut s'accommoder parfois de la place de soumission-infériorité. Soit parce qu'il nous admire, soit parce qu'il y a été conditionné par son éducation. Son positionnement détermine son rapport au langage, il aura tendance à se taire, à nous conforter par principe dans ce que nous disons.

Résumons. Notre interlocuteur est soit dans l'apparentement vis à vis de nous, soit dans la rivalité en position de domination-supériorité, ou en position de soumission-infériorité.

Voyons maintenant les différentes configurations relationnelles possibles en fonction de notre propre posture relationnelle. Il y en a trois  : soit nous sommes dans l'apparentement et notre interlocuteur l'est aussi, soit nous sommes dans l'apparentement mais notre interlocuteur est dans la rivalité, soit nous sommes tous les deux dans la rivalité.

Le mode relationnel d'apparentement

Chacun se sent libre de parler, les malentendus sont levés facilement, les désaccords sont exposés calmement avec des arguments. Chacun peut changer d'avis si ce que dit l'autre fait sens pour lui. Le langage est utilisé pour penser et ordonner ce qui se passe pour chacun, son point de vue et son ressenti, sans chercher à prendre l'ascendant l'autre, veillant à ne pas le heurter. Le sens est un point d'appui et la parole engage, les conditions sont donc réunies pour que la confiance s'installe. La relation est détendue. Dans ce mode relationnel, chacun a une place symbolique de même valeur par principe, quelque soit le nombre d'interlocuteurs.

Le mode relationnel de rivalité

Lorsque nous-mêmes et notre interlocuteur sommes dans la posture de rivalité, l'enjeu de place (dominant-dominé / supérieur-inférieur) crée des tensions, même si la rivalité est inconsciente. Si l'un de nous s'accommode de la place de soumission-infériorité, il y a moins de tensions, mais ça peut n'être que temporaire. Si nous voulons tous les deux occuper la place de supériorité ça peut dégénérer. À bas bruit c'est quand nous voulons tous les deux avoir de dernier mot, mais des insultes peuvent finir par arriver. Celui qui ne trouve rien à répondre est en position d'infériorité, on ne peut pas gagner à tous les coups. Quand on perd on espère avoir l'occasion d'inverser la situation. Si ça s'avère impossible on peut se consoler imaginairement avec des scénarios éveillés ou des rêves qui font tomber l'autre. L'affrontement lié au mode relationnel de rivalité nous procure une certaine jouissance, qui est majorée lorsque nous occupons la place supérieure. Cette jouissance peut donner lieu à des violences verbales, psychologiques et physiques sans limite, c'est heureusement assez rare. Dans un groupe de personnes étant dans la rivalité, il se crée inévitablement des clans.

Le mode relationnel discordant

Si nous sommes dans la posture d'apparentement face a quelqu'un étant dans la rivalité, c'est inconfortable. Nous devons gérer la tension que génère la posture de rivalité de notre interlocuteur. S'il nous place (malgré nous) en position supérieure, nous admire par exemple, c'est parfois associé à de l'envie voire de la jalousie. S'il a des velléités de domination l'enjeu est de ne pas nous soumettre, ne pas nous laisser dévaloriser, sans envenimer la relation pour autant. Si notre posture d'apparentement est habituelle, nous devons apprendre à gérer la rivalité éventuelle de nos interlocuteurs, faute de quoi nous nous mettons vraiment en difficulté.

Si vous vous trouvez dans cette configuration, sachez qu'il y trois précautions à mettre en œuvre :

- Différer toute prise de décision (chaque fois que c'est possible) : il s'agit de prendre du recul pour faire le point. Qu'est-ce que notre interlocuteur nous a fait ressentir ? Où pouvons-nous prendre des renseignements complémentaires ? S'il supporte mal que nous ne donnions pas une réponse sur le champ, il faut l'interpréter comme un signe que nous avons raison de prendre du temps. S'il était dans l'apparentement il l'accepterait sans difficulté.

- Ne pas nous appuyer sur ce qu'il dit : il ne dit que ce qu'il pense devoir dire dans l'immédiateté de la relation pour arriver à ses fins. Nous ne savons pas ce qu'il pense vraiment, parfois lui-même non plus (la posture de rivalité étant souvent inconsciente). Pour nous aider à prendre de la distance avec ses paroles nous pouvons garder à l'esprit cette question : quel est son intérêt de me dire ça ? Même si nous ne trouvons pas de réponse, le fait de nous interroger permet de ne pas croire ce qu'il nous dit. S'il nous dévalorise c'est qu'il a besoin de le faire pour se rassurer lui-même. S'il nous flatte, c'est qu'il a envie de nous faire faire quelque chose.

- Ne pas lui livrer toutes nos pensées et nos ressentis : il utilise tout ce qu'il sait de nous pour nous manipuler. Il vaut mieux nous en tenir aux faits et à notre exigence de respect, y compris en cas de désaccord.

Ces précautions ne sont pas naturelles pour une personne étant habituellement dans l'apparentement, si c'est votre cas, il faut vous entrainer un peu. C'est d'autant plus nécessaire que le culot et la mauvaise foi de notre interlocuteur peut nous laisser parfois sans voix, or ne rien dire c'est acter en quelque sorte une soumission. Vous trouverez donc ci-dessous un tableau avec des idées de réponses pour différentes situations. L'idée générale est de donner à entendre à votre interlocuteur que vous portez un jugement négatif sur son attitude envers vous (pas sur sa personne). Interpellez-le sur les processus qu'il utilise pour prendre l'ascendant sur vous.

Comportements de rivalité dominatrice Idées de réponses
Hausser le ton « Est-ce qu'on peut parler calmement ? »
« Ce n'est pas parce que tu parles plus fort que je vais être d'accord. »
Ton autoritaire - commander « ça peut se discuter quand même?! »
« En fait tu voudrais décider tout seul. »
Mots trop compliqués « Tu parlerais avec des mots plus simples on se comprendrait mieux. »
Arguments cinglants « C'est facile d'attaquer les autres au lieu de chercher à discuter. »
Dévaloriser subtilement l'autre « Vos sous-entendus sont déplaisants »
Monopoliser la parole Se boucher les oreilles + (dès qu'on peut parler) « En fait tu veux parler tout seul. »
Couper la parole Se boucher les oreilles + (dès qu'on peut parler) « j'aimerais bien pouvoir finir mes phrases. »
Ignorer ce que l'autre dit « Je t'ai déjà dit que [...]. »
« Je viens de te dire que [...]. »
Dire une chose et son contraire « Pourriez-vous me confirmer cela par écrit ? »
Flatter « C'est trop d'honneur, mais il faut que je réfléchisse. »
Se victimiser (pour obtenir quelque chose) « De mon coté ça ne va pas être possible.» (sans se justifier)
Menacer « En fait tu me menaces faute d'arguments. »
« Mais ça c'est des menaces !. »
Présenter des arguments apparemment pertinents (manipulation) « J'ai besoin de temps pour réfléchir. »
« Il te faut une réponse pour quand au plus tard ? »
« Ce n'est pas si simple, je pense que tu oublies des choses »
Affirmations péremptoires « Je ne suis pas d'accord. »
« ça ne me plait pas. »
« On ne peut pas dire ça, ça n'a pas de sens. »
« On ne peut pas dire ça, ça n'est pas juste. »
Quand il est impossible de se faire entendre Partir + "on ne peut pas discuter avec toi."

Ces idées de réponses, n'hésitez pas à vous les approprier. Imaginez des petits scénarios avec des personnes qui vous mettent souvent en difficultés. Répétez vos réponses à voix haute, viendront vos propres mots et vous prendrez de l'assurance, ce qui facilitera votre prise de parole le moment venu (sous le coup de l'émotion). Dire à votre interlocuteur que vous n'appréciez pas son attitude envers vous le freinera dans ses velléités de domination, car les personnes qui prennent l'ascendant sur les autres souhaitent aussi qu'ils soient contents ou fassent comme s'ils l'étaient.

Comment repérer la posture de rivalité, version domination, au delà d'une apparente gentillesse ?

La posture relationnelle de rivalité n'est pas synonyme d'agressivité. Elle peut être mise en œuvre avec gentillesse, particulièrement si l'autre accepte sa place d'infériorité. Elle peut aussi être mise en œuvre par la manipulation des sentiments, la flatterie, la victimisation pour solliciter notre empathie, la culpabilisation, etc. Il faut donc être attentifs à nos ressentis émotionnels pour la repérer. Quels que soient les moyens utilisés pour prendre l’ascendant sur nous, nous ne sommes pas tranquilles. Nous pouvons avoir du mal à comprendre où la personne veut en venir, à lui faire entendre notre point de vue, à lui dire certaines choses par peur de sa réaction. Autant de ressentis qui n'existent pas quand nous sommes dans le mode relationnel d'apparentement. C'est donc par différentiel que nous pouvons identifier la posture de rivalité de notre interlocuteur, au-delà d'une gentillesse apparente.

Pourquoi la posture de rivalité est-elle si fréquente ?

La posture de rivalité signifie que la personne agit sous l'influence de son ego, or depuis plusieurs décennies l'ego a pris le pouvoir en l'humain, il a gangrené toutes les activités humaines. Nos relations, la vie économique et politique ont été perverties. Nous avons créé des organisations sociales pyramidales et un monde pyramidal, les personnes y sont hiérarchisées par l'argent. Dans un tel contexte, il faut se battre pour faire sa place ou pour la garder. Nous nous sommes piégés nous-mêmes, car un tel monde est une incitation à la rivalité.

La posture de rivalité est-elle inévitable ?

Non, l'humain est capable du meilleur. Il n'a pas uniquement un ego qui le pousse à l'égoïsme et à la rivalité, il est aussi porteur de quatre exigences fondamentales de sens, de justice, de paix et d'amour. C'est une conviction qui s'est imposée à nous (les auteurs de l'analyse présentée sur ce site) au fil de nos années de réflexion. La posture relationnelle d'apparentement s'enracine dans ces exigences fondamentales.

Elles sont observables chez les très jeunes enfants, dès qu'ils commencent à maîtriser le langage. Ils cherchent à comprendre ce qui se passe autour d'eux et posent des questions, souvent très pertinentes mais parfois mal reçues par les adultes. Un enfant se faisant régulièrement rabrouer lorsqu'il pose des questions peut se renfermer sur lui-même, renoncer à vouloir comprendre ce qui se passe autour de lui. Il peut aussi se départir de son exigence de justice s'il est témoin d'injustices, plus encore s'il constate que des adultes s'en accommodent. Il peut aussi se détourner de son exigence de paix s'il vit dans un environnement tendu dans lequel il y a de nombreuses disputes. En revanche, il est rare qu'il renonce à son exigence d'amour. L'amour est à entendre au sens large de l'amour d'autrui qui fonde l'empathie. Un jeune enfant peut donner spontanément son propre doudou à un enfant qui pleure.

Chacun de nous a le choix de s'appuyer sur son ego ou sur ses exigences fondamentales pour agir au quotidien. Choisir l'apparentement c'est s'épargner le stress de la rivalité, c'est privilégier la qualité des relations avant tout. Sans pour autant se laisser dominer ou mépriser par ceux qui auraient des velléités de le faire.